Étape 4
Le facteur du succès
Henri est décidé à frapper à toutes les portes de ceux qui, industriels ou artistes, font la renommée du Nancy de la Belle Époque. Auprès du célèbre imprimeur Albert Bergeret, il apprend les facteurs certains du succès…
Henri est décidé à frapper à toutes les portes de ceux qui, industriels ou artistes, font la renommée du Nancy de la Belle Époque. Auprès du célèbre imprimeur Albert Bergeret, il apprend les facteurs certains du succès…
Albert Bergeret est un fin observateur de son temps ; c’est en Allemagne, au début des années 1890, qu’il fait le constat du développement fulgurant de la carte postale illustrée, un petit morceau de papier cartonné sans enveloppe permettant de donner des nouvelles rapides. Nul besoin d’emporter son matériel de correspondance, la carte postale s’écrit d’un jet sur le coin d’une table de café ; avant que ne se répande l’usage du téléphone, elle révolutionne l’histoire postale et permet de communiquer vite et bien, parfois entre deux quartiers d’une même ville.
En 1898, Albert Bergeret crée sa propre affaire et, à l’instar du pionnier marseillais Dominique Piazza, il lance ses impressions de cartes postales illustrées reproduisant des clichés photographiques par le biais d’impression photomécanique comme la typogravure, la similigravure, la phototypie et autres « procédés innovants », mentionnés sur le papier à en-tête des imprimeries Bergeret. Il est l’un des rares à éditer des cartes postales illustrant l’actualité, comme celle de la malheureuse expédition Andrée évoquée dans le film ou celle de l’affaire Dreyfus.
Fin 1901, il commercialise ses « fantaisies », cartes aux motifs badins, qui feront sa renommée, inondant un marché très concurrentiel, jusqu’à 100 millions d’exemplaires par an dans la seconde moitié des années 1900.
L’idée d’une grande exposition valorisant la puissance industrielle, agricole et artistique de l’Est de la France est dans les esprits les plus éclairés dès le début du XXe s., peut-être même avant. Paris a montré l’exemple de ces grandes célébrations du progrès en 1889 ou en 1900 et le contexte de l’Annexion favorise la réflexion patriotique sur la mise en valeur des régions demeurées françaises.
Metz avait eu son Exposition universelle en 1861, Nancy avait célébré le centenaire de la réunion des duchés à la France en 1866 ou encore accueilli le président de la République Sadi Carnot en 1892, mais depuis, rien.
Le projet se fait progressivement jour jusqu’à une décision ferme de la municipalité en 1907. L’idée sera portée par des hommes décidés et actifs au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie et de la Société industrielle de l’Est.
L’Exposition internationale de l’Est de la France se tient au parc Sainte-Marie et attire plus de deux millions de visiteurs éblouis entre mai et novembre 1909. Vitrine de l’innovation, elle s’articule entre plusieurs palais et pavillons dont seul demeure aujourd’hui le pavillon alsacien, qui abrite l’actuelle brasserie du parc. L’Exposition apparait pourtant comme le chant du cygne du mouvement de l’École de Nancy qui peine à s’organiser pour y être représenté.
Au début du XXe siècle, Nancy voit s’élever un peu partout demeures cossues et immeubles de rapport destinés à loger commodément la bourgeoisie locale. Certains grands noms de l’École de Nancy, artistes, industriels ou mécènes, font le choix encore audacieux de l’Art Nouveau pour l’architecture de leur foyer. La villa Majorelle apparaît ainsi comme pionnière.
Lucien Weissenburger, son maître d’oeuvre, également architecte de la brasserie Excelsior, élève sa propre demeure boulevard Charles V entre 1903 et 1905 mais travaille durant ces mêmes années sur la villa de l’imprimeur Albert Bergeret, rue Lionnois.
La villa Bergeret est une oeuvre résolument collaborative, au sommet de l’Art Nouveau : Louis Majorelle signe une partie des ferronneries intérieures et extérieures, Jacques Gruber et Joseph Janin oeuvrent aux riches vitraux colorés de l’ensemble, Eugène Vallin exécute les boiseries de plusieurs cheminées et Victor Prouvé réalise une grande toile peinte pour le plafond du hall, aujourd’hui déposée. On retrouve dans le décor de la bâtisse des motifs emblématiques de l’École de Nancy, du paon à la monnaie du pape, un symbole de prospérité mentionné dans le film que l’on retrouve également dans le décor de la villa Majorelle. Aujourd’hui propriété de l’Université de Lorraine, la villa Bergeret est accessible à certaines occasions seulement.
Artiste aux voies d’expression multiples, touche-à-tout de génie, tour à tour peintre, sculpteur, graveur ou même relieur, Victor Prouvé fait partie des membres fondateurs de l’École de Nancy dont il reprendra la présidence après le décès de son ami Émile Gallé en 1904. À lui seul, Victor Prouvé illustre l’essence même du mouvement : l’expérimentation, l’innovation et l’insatiable curiosité. Le Musée des Beaux-Arts de Nancy, le Musée d’Orsay ou le Petit Palais à Paris conservent de l’artiste des compositions, parfois monumentales, illustrant la confiance en une période pleine de certitudes qui sera ainsi qualifiée de « Belle Époque » après la Première Guerre mondiale.
Publicité, architecture, décoration intérieure, ameublement, le talent de Victor Prouvé s’illustre sur tous les supports, participant de cette ambition d’« art total » caressée par l’École de Nancy. Ses silhouettes féminines donnent ainsi au mouvement une couleur presque symboliste.
Patriarche d’une famille nombreuse, Victor est le premier d’une dynastie d’artistes, d’architectes et de constructeurs toujours active de nos jours. Ses fils, Jean et Henri, ainsi que son petit-fils Claude, porteront loin le nom des Prouvé au cours du XXe siècle.