Étape 5
L’association
Henri a su se rendre indispensable auprès des créateurs de l’École de Nancy. Dans une attente fébrile, il assiste alors à la naissance du mouvement et sera chargé à cette occasion d’une mission très spéciale…
Henri a su se rendre indispensable auprès des créateurs de l’École de Nancy. Dans une attente fébrile, il assiste alors à la naissance du mouvement et sera chargé à cette occasion d’une mission très spéciale…
Le mouvement de l’École de Nancy a ceci d’original qu’il ne relève pas, comme bien d’autres, d’une mouvance informelle. Profitant de la loi sur la liberté d’association de 1901, les membres fondateurs décident rapidement de se structurer sous ce régime associatif : l’Alliance provinciale des Industries d’Art.
Son nom est déjà un manifeste et affiche les ambitions du groupe : donner une assise véritablement locale au mouvement, loin du parisianisme affiché des salons, s’appuyer sur l’outil industriel pour confirmer la modernité des productions du groupe et redonner ses lettres de noblesse à l’artisanat d’art lorrain, dont le travail du bois, du verre ou du métal relève de traditions pluriséculaires.
Les statuts de l’Alliance, rédigés en 1901 et déposés en préfecture comme le montre notre film, présentent un véritable programme réfléchi, cohérent et novateur en bien des points. Il fut principalement pensé par Émile Gallé et prévoyait de créer une école d’enseignement professionnel des métiers d’art, avec des cours pratiques et théoriques adaptés à ces métiers, fonder un musée, une bibliothèque, organiser des expositions à Nancy ou ailleurs, créer des bourses d’étude, constituer des collections… Malheureusement, les dissensions internes et les activités annexes de chacun feront de ces perspectives un voeu pieux.
Il est probablement l’un des meilleurs exemples de réussite économique et professionnelle du Nancy de la Belle Époque. Eugène Corbin a la fibre entrepreneuriale dans le sang et convertit le Bazar Saint-Nicolas légué par son père en une chaîne de grands magasins dans le style parisien : les Magasins Réunis, dont le vaisseau amiral occupait un îlot entier entre les actuelles rues Mazagran et Poirel (aujourd’hui les Printemps/FNAC).
Le succès de l’homme d’affaire est fulgurant. Eugène Corbin convertit une partie de sa fortune en une immense collection d’oeuvres d’art parmi lesquelles, de nombreuses pièces Art Nouveau. Son épouse, Jeanne Blosse, qui tient les comptes du ménage, doit parfois freiner ses dépenses ! Ensemble, ils forment l’un des couples les plus en vue de la bourgeoisie locale ; leur portrait, réalisé par Victor Prouvé, accueille les visiteurs du Musée de l’École de Nancy et témoigne de leur élégance : Jeanne et Eugène Corbin y apparaissent environnés d’oeuvres uniques, d’une magistrale amphore en verre d’Émile Gallé à un vitrail au motif de roses signé Jacques Gruber, deux pièces justement exposées dans les salles du Musée de l’École de Nancy.
Ce dernier se situe au sein de l’ancienne maison de campagne du couple, rue du Sergent Blandan. Il a vu le jour grâce au legs exceptionnel d’Eugène Corbin à la ville de Nancy (759 oeuvres).
Irrémédiablement liés au nom des Corbin, les Magasins Réunis ont fait la fierté de plusieurs générations de Nancéiens et ont contribué à faire de Nancy ce « petit Paris » évoqué dans le film du prologue. Héritier du Bazar Saint-Nicolas, Eugène Corbin fait franchir le pas de la modernité à l’entreprise familiale en créant une chaîne de grands magasins à l’allure toute parisienne. Situés entre les actuelles rue Mazagran et rue Poirel, les Magasins Réunis font face au domicile personnel d’Eugène Corbin rue Mazagran.
Dès 1906, Lucien Weissenburger contribue à donner à cet ensemble immobilier acquis progressivement un habillage Art Nouveau qui ajoute à l’élégance de ce temple de la consommation où l’on « vend[ait] de tout » comme le rappellent les publicités du temps.
Au dernier étage, le salon de thé à la décoration soignée offrait aux potentiels acheteurs l’occasion d’une pause raffinée dans un entre-soi feutré.
Le 16 janvier 1916, ces Magasins Réunis furent tragiquement détruits par les flammes d’un incendie ravageur. Qu’à cela ne tienne, Eugène Corbin reconstruisit, plus grand, plus massif et plus solide. Dans la seconde moitié des années 1920, c’est un tout nouveau bâtiment de style Art Déco qui est inauguré, le plus grand des grands magasins de province (12 135m2 !). Il abrite depuis 1983 les enseignes du Printemps et de la FNAC.
L’ensemble Poirel est un legs à la ville de Nancy du couple Poirel, Victor et Lisinka, petite-fille du sculpteur Barthélémy Guibal. Ingénieur, Victor connut une vie professionnelle riche qui le conduisit d’Alger à la Thrace, de la Toscane à la Normandie. Lisinka eut une enfance cosmopolite et artistique et baigna dans l’orientalisme lors des séjours du couple en Algérie. Collectionneurs avertis, ils fréquentèrent Eugène Delacroix ou encore George Sand.
Le couple, sans enfant, se retira en Lorraine en 1866 où il fit don à la ville de Nancy des conditions nécessaires à l’édification d’une institution culturelle hybride : à la fois théâtre, salle de concert ou encore galerie d’exposition. Le projet, inauguré en 1889, est d’ampleur et participe de l’intense vie culturelle nancéienne rythmée par la « saison » de l’opéra durant les années de l’Annexion (1870 – 1918).
Composé d’un théâtre à l’italienne de 800 places et d’un espace d’exposition de 1000m2, l’ensemble Poirel abrita également les différentes réunions de rédaction des statuts de l’École de Nancy, à l’ombre des Magasins Réunis d’Eugène Corbin.
Si Nancy demeure aujourd’hui une ville de culture, on peine à imaginer le foisonnement des salles de spectacle à l’époque et l’importance de l’agenda culturel qui participait de la sociabilité bourgeoise de la cité ducale.