Henri Schweitzer est un fils d’optants alsaciens installés à Nancy après l’Annexion. Jeune apprenti-ébéniste de la maison Gauthier & Poinsignon, il évoque dans une lettre à sa grand-mère, demeurée à Sigolsheim en Alsace, l’effervescence du Nancy 1900…
À l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870, le Reich allemand annexe l’Alsace et une partie de la Lorraine. Le traité de Francfort signé entre les deux belligérants prévoie que les populations des territoires annexés puissent choisir leur nationalité. En cas d’option pour la nationalité française, elles sont invitées à quitter les territoires cédés à l’Allemagne. Ce sont alors des dizaines de milliers de personnes – les optants – qui, comme les parents d’Henri Schweitzer, le héros de notre fiction, prennent le chemin de l’exode. Pour beaucoup d’entre eux, le bilinguisme est naturel, à l’exemple d’Henri, qui, écrivant à sa grand-mère alsacienne l’appelle Oma, « Mamie » en allemand.
Nombre de ces optants s’installent à Nancy, ville française la plus proche de la nouvelle frontière. Sa population double alors entre la fin du Second Empire et 1911. C’est l’âge d’or de la ville qui se développe sur tous les plans grâce à l’apport économique de milliers d’anonymes et d’optants célèbres, comme le tonnelier Adolphe Frühinsholz. De ces connexions entre le monde industriel et artistique naît ainsi l’École de Nancy.
Oscar Berger-Levrault fait partie de ces industriels optants qui décident de s’installer à Nancy en délocalisant leur entreprise. Imprimeur strasbourgeois, il opte pour la nationalité française et ouvre en 1872 une nouvelle imprimerie au 18, rue des Glacis à Nancy. Nombre de ses ouvriers alsaciens le suivent. En 1877, l’imprimerie Berger-Levrault compte 400 ouvriers et en 1903, l’entreprise est toujours la première de Nancy, devant les Imprimeries Bergeret, alors en pleine ascension.
Le site industriel a longtemps occupé tout un îlot du quartier des Trois-Maisons. En 2009, les établissements Berger-Levrault quittent leurs locaux historiques qui sont alors voués à la destruction pour laisser place à un programme immobilier. Le chantier s’accompagne d’un programme de fouilles archéologiques préventives qui révèle l’emplacement de l’ancien cimetière de Boudonville. La façade historique des ateliers fut, elle, conservée rue des Glacis.
Passé par l’École des Beaux-Arts de Nancy, Camille Gauthier entre au sein du bureau d’études des ateliers Majorelle en tant que dessinateur. Ses créations, inspirées du répertoire naturaliste, sont présentées à l’Exposition universelle de Paris en 1900 où elles contribuent particulièrement à la visibilité des établissements Majorelle. La même année pourtant, Camille Gauthier quitte ses fonctions chez Majorelle.
Il ouvre alors, rue d’Auxonne à Nancy, sa propre manufacture de meubles modernes. Membre du comité directeur de l’École de Nancy, il est l’un des artistes du mouvement les plus inspirés par la volonté de mettre l’art à portée de tous. Contrairement à un Eugène Vallin qui ne travaille que sur commande, Camille Gauthier lance une production de meubles en série, aux décors simplifiés, permettant à chaque bourse de profiter de l’élégance de l’Art Nouveau. Ses ateliers mécanisés voisinent avec une galerie permanente d’exposition qui préfigure nos magasins d’ameublement actuels. En 1904, il s’associe avec le tapissier Paul Poinsignon pour compléter la gamme de ses produits de décoration d’intérieur.
À l’heure où Metz et Strasbourg ont été intégrées au Reich allemand après la défaite française de 1870, le Nancy de la Belle Époque se doit d’apparaître comme la nouvelle capitale de l’Est de la France. C’est dans ce contexte qu’elle gagne son surnom de « petit Paris ». La bourgeoisie d’affaire y côtoie les professions libérales issues des facultés de Droit et de Médecine, ou encore les grands entrepreneurs.
Tous se retrouvent dans les hauts lieux de sociabilité que compte alors la ville : opéra, salles de spectacle comme la récente salle Poirel, brasseries, parcs publics, grands magasins. Les élégantes et les élégants se retrouvent ainsi au tea room des Magasins Réunis dirigés par Eugène Corbin, au Grand Café Glacier de la place Stanislas ou encore à la Cure d’Air du Trianon de Malzéville. La ville se dote de nombreux débits de boisson aujourd’hui disparus, mais dont la brasserie Excelsior ou le bar des Carmes où fut tournée notre fiction sont parmi les derniers témoignages.