Étape 2
Gravé dans le verre
Sur les conseils d’Émile Gallé, Henri cherche à parfaire sa formation en approchant le travail d’autres matériaux, comme le verre. Quels meilleurs enseignements que ceux d’Antonin Daum pourrait-il recueillir ?
Sur les conseils d’Émile Gallé, Henri cherche à parfaire sa formation en approchant le travail d’autres matériaux, comme le verre. Quels meilleurs enseignements que ceux d’Antonin Daum pourrait-il recueillir ?
Né en 1825, Jean Daum possédait une étude notariale à Bitche en Moselle lorsqu’éclata la guerre franco-prussienne de 1870. La défaite française et l’Annexion le conduisent à opter pour la nationalité française et quitter les territoires cédés au Reich. Comme nombre d’optants, il s’installe à Nancy où les circonstances le poussent à changer de vie. Il rachète en 1878 la verrerie Sainte-Catherine dans laquelle il avait investi dès 1876.
Dès le début, son fils aîné, Auguste, est de l’aventure. Dix ans plus tard, après la mort de leur père, c’est Antonin, fraîchement diplômé de l’École centrale des arts et manufactures de Paris qui le rejoint. À eux deux, ils redressent la santé financière de l’entreprise et en font un des fleurons du Nancy Art Nouveau, une part de l’A.D.N. de l’École de Nancy dont ils seront membres fondateurs. Antonin, le créatif, celui qu’on a pu surnommer « la raison et la sagesse de l’École de Nancy » signe environ 3 000 modèles entre 1890 et 1914.
L’Art Nouveau est un mouvement artistique particulièrement bien circonscrit dans le temps, au cœur de la Belle Époque. L’existence de son foyer nancéien, l’École de Nancy, n’excède guère une dizaine ou une quinzaine d’années et l’Association provinciale des Industries d’Art est dissoute en 1914. Un certain nombre d’artistes et de manufactures ne parviennent malheureusement pas à renouveler leurs productions pour passer ce cap, et la crise économique des années 1930 termine d’éclaircir les rangs des industriels d’art à Nancy. Les établissements Majorelle ferment en 1931, ceux de Gallé en 1936.
La cristallerie Daum se maintient à flot tout au long du XXe s., malgré les aléas économiques, les fluctuations des tendances, les guerres. Dans les années 1960, les petits-fils d’Antonin et d’Auguste Daum continuent à innover en ressuscitant des techniques jadis abandonnées, comme celle de la pâte de cristal, et en multipliant les collaborations avec les plus grands artistes de la seconde moitié du XXe s. comme Georges Braque ou Salvador Dalí. Si la manufacture n’appartient plus à la famille Daum depuis les années 1980, elle n’en est pas moins présente partout dans le monde, avec des boutiques à Hong Kong, Singapour ou New York. Fidèle à ses origines lorraines, la cristallerie historique demeure à Nancy.
Né l’année même de la défaite française à Sedan, Jacques Gruber est un optant alsacien. Tout comme le héros de notre fiction, Henri Schweitzer, il vient s’installer avec ses parents à Nancy en 1877. Élève de Théodore Devilly et de Jules Larcher, il est un pur produit des établissements nancéiens de formation artistique. Son talent, remarqué, lui permet d’obtenir une bourse de la ville pour achever sa formation à l’École des Beaux-Arts de Paris.
Revenu à Nancy en 1893, il s’immerge dans l’effervescence artistique de la ville et collabore avec Daum, Majorelle ou le relieur d’art René Wiener. Il participe à l’Exposition d’Art Décoratif de Nancy en 1894. Touche-à-tout plein d’inventivité, il se consacre de plus en plus à l’art ancestral du vitrail, dont il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands maîtres de la première moitié du XXe s. Sa capacité à mêler les différentes techniques du travail du verre sur une même œuvre en font un virtuose de la discipline. Villas Bergeret, Majorelle, verrières du Crédit Lyonnais à Nancy, des Galeries Lafayette à Paris, du Grand Hôtel Ciudad à Mexico, décoration intérieure de paquebots transatlantiques : Jacques Gruber est un des artistes les plus prolifiques du mouvement de l’École de Nancy auquel sa créativité survivra.
La collaboration entre les différents membres du mouvement de l’École de Nancy participe de l’identité artistique du groupe. La volonté revendiquée de s’appuyer sur l’outil industriel pour développer à la fois une production en série ou au contraire des éditions très limitées conduit chaque créateur à employer les compétences spécifiques de ses collègues artistes. Il s’agit, pour chacun, de produire des pièces soignées, représentatives d’une nouvelle modernité.
Il n’est pas rare qu’une même pièce soit ainsi composée de plusieurs matériaux travaillés par des mains différentes, comme en témoigne ce flambeau appartenant aux collections du Musée de l’École de Nancy. Cette lampe est issue d’une collaboration entre les maisons Daum, pour les globes de verre légèrement opalescents, et Majorelle, pour le piètement en bronze. Produite en série en 1903, ce luminaire emploie à nouveau le registre naturaliste pour évoquer les différents stades du développement d’une fleur de magnolia, du bouton à la fanaison. Sa fragilité n’en est que plus sublimée par le solide élancement de la tige dorée.